Édito
avril 2025 - Appel

Soutien au mouvement « Stand Up for Science »

L’Association des directeurs et personnels de direction des bibliothèques universitaires
(ADBU), le consortium Couperin et EPRIST s’associent à leurs homologues américains,
dont ils partagent les inquiétudes et dont ils soutiennent l’engagement et les actions
pour préserver l’accès à l’information, maintenir la diffusion des savoirs et accompagner
le développement de la science au service de la démocratie et des citoyennes et citoyens

-> Lire le communiqué

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L’invasion des profanateurs de revue

par Lucile Veissier , TheMetaNews, pour EPRIST Des revues dévoyées par d’obscurs éditeurs qui leur font adopter des pratiques prédatrices ? Le phénomène existe depuis quelques années mais commence tout juste à être documenté. L’achat et la revente de revues scientifiques deviendrait-il un business juteux ? Depuis quelques années, certains éditeurs en chef croulent sous les emails d’obscures sociétés basées aux quatre coins du monde, de Singapour au Royaume-Uni en passant par l’Inde, proposant le rachat de leur revue. Les montants proposés ? De 75 000 à 500 000 dollars, du moins d’après les sources connues. De guerre lasse, certaines revues mettent en ligne les offres qu’elles reçoivent. Depuis décembre 2021, le Macedonian Journal of Chemistry and Chemical Engineering a ainsi rendu publiques sur leur site plus de vingt propositions de rachat avec en avant-propos : « Nous ne sommes pas intéressés ». Plus récemment, en novembre 2024, l’éditeur du Journal of Artificial Societies and Social Simulation Flaminio Squazzoni recevait une offre à six chiffres. Au rythme actuel, il faudrait huit à dix ans pour rentabiliser un tel investissement : « Vous savez ce qu’ils vont faire…  », écrivait-il sur X. En effet, une fois rachetées, ces revues perdent progressivement toute légitimité, adoptant des pratiques parfois carrément prédatrices. Un phénomène qui semble prendre de l’importance, aux dépens des chercheurs et de la science.  « Tout un pan de la littérature a disparu de la surface de la Terre » Ophélie Fraisier-Vannier, Université de Toulouse Archéologie, science de l’éducation, psycho… toutes les disciplines sont touchées. Si certains éditeurs en chef résistent, d’autres acceptent en toute discrétion, informant parfois le comité éditorial au détour d’une note. Cela a été le cas de la revue Tobacco Regulatory Science, rachetée une première fois en 2019 pour être revendue deux ans plus tard à JCF Corp – basé à Singapour et qui se présente comme leader dans le conseil aux petites et moyennes entreprises du secteur de l’édition – puis à une société malaisienne. La chercheuse et éditrice associée de la revue Cristine Delnevo, méfiante après le second rachat, a démissionné. Comme elle en témoignait en 2021, elle ne savait même plus à qui appartenait la revue : aucune information claire ni sur le site, ni en interne ne l’indiquait – la communication avec le nouvel éditeur en chef était inexistante. Le tout accompagné d’un chambardement complet de la gestion éditoriale : alors que des auteurs restaient sans nouvelles des manuscrits qu’ils avaient soumis, le nombre de papiers explosait, publiant en deux mois le volume de  deux ou trois ans auparavant. Pire, des articles sans lien avec le tabac sont apparus dans les nouveaux numéros et les frais de publication ont été multipliés par deux.  Pulsus Group, JCF Corp, Open Access Text Limited, Codon Publications ou Science Research Society… Les noms de ces fameuses entreprises vous sont probablement inconnus, et pourtant celles-ci transforment radicalement les revues sur lesquelles elles font main basse. Leur objectif ? Profiter de leur légitimité dans le monde de l’édition scientifique, c’est-à-dire leur référencement par Web of Science et Scopus – ces grandes bases de données dont nous vous parlions – et leur facteur d’impact associé. Calculé sur la base des citations que reçoivent l’ensemble des articles qui y sont publiés, celui-ci est en effet un indicateur de sa réputation, et donc de son attractivité. Nature possède par exemple un impact factor de 50, mais ceux de beaucoup de revues tournent entre 1 et 5. Les plus confidentielles ne sont pas toujours répertoriées dans le Journal Citation Reports publié chaque année par Clarivate, l’entreprise détenant Web of Science. Voici donc la nouvelle technique des éditeurs prédateurs : en acheter une toute faite. Bien plus simple et rapide que la création d’une revue from scratch suivi du long travail pour la faire apparaître dans les bases de données bibliométriques…  « Nous avons réalisé que plusieurs maisons d’éditions agissaient de la même manière, et qu’elles étaient probablement contrôlées par les mêmes personnes » Alberto Martín-Martín, Université de Grenade Mais pour quoi faire ? En 2022, deux revues espagnoles en sciences de l’information – Comunicar et Profesional de la información – ont été vendues à une même maison d’édition nommée Oxbridge Publishing House Ltd. « Cela paraissait étrange et nous avons décidé de regarder de plus près », explique Alberto Martín-Martín, auteur avec son collègue de l’université de Grenade Emilio Delgado d’un preprint déposé sur Zenodo en janvier 2025 examinant les pratiques de cette société au nom étrange – un mélange entre Oxford et Cambridge. L’entreprise est domiciliée en Angleterre et à la même adresse, les chercheurs découvrent trois autres maisons d’édition qui tentent également d’acquérir des revues bien établies. « Nous avons réalisé que plusieurs maisons d’édition agissaient de la même manière, et qu’elles étaient probablement contrôlées par les mêmes personnes ». Ce qui les a inspirés pour filer la métaphore avec le film Invasion of the Body Snatchers – L’Invasion des profanateurs de sépultures en français – dont les amateurs de science-fiction se rappelleront peut-être. Frais de publications, thématiques, origines géographiques des auteurs… Les deux chercheurs en sciences de l’information ont analysé plus de 36 revues originellement détenues par de petites maisons d’édition, voire des particuliers, dans des pays aussi divers que l’Espagne, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Turquie ou l’Inde. Et après rachat, la transformation est flagrante : alors que les article processing charges (APC) demandés aux auteurs sont introduits ou augmentent, les digital object identifier (DOI) – assurant l’identification unique et pérenne d’une publication disparaissent. En parallèle, les chercheurs espagnols voient apparaître des articles absolument hors sujet – de l’informatique dans une revue sur la langue kurde, par exemple – en provenance de pays comme l’Arabie saoudite ou l’Asie, auparavant peu représentés dans ces revues parfois peu internationales. « Des signaux forts », estime Alberto Martín-Martín. Mais ils ne se sont pas arrêtés là. « En sciences de l’information et de la communication, nous avons perdu deux des trois revues hispaniques » Alberto Martín-Martín Dans un second preprint déposé en avril 2025 sur Zenodo, Alberto Martín-Martín et Emilio Delgado ont présenté l’analyse bibliométrique de 55 revues soupçonnées d’avoir mal tourné après leur rachat par Oxbridge et consorts – la liste initiale des 36 précédentes s’en trouve rallongée. Les graphiques représentant les connexions entre revues, parfois thématiquement éloignées, en termes de citations d’une revue à l’autre et d’auteurs publiant concomitamment dans plusieurs revues sont sans appel : 9 sur 10 n’existaient pas avant les rachats. Pour les chercheurs espagnols, c’est la démonstration de pratiques coordonnées entre des revues qui n’avaient a priori rien en commun, sauf aujourd’hui d’appartenir à un même réseau. Voilà qui rappelle les agissements presque mafieux des paper mills. En décrédibilisant ces revues auparavant perçues comme légitimes, la dissémination de papiers de piètre qualité pénalise également les chercheurs du domaine : « En sciences de l’information et de la communication, nous avons perdu deux des trois revues hispaniques. Nous n’avons plus beaucoup d’options pour publier », se désole Alberto Martín-Martín. Les revues francophones ne semblent pas épargnées par le phénomène. Récemment, le journal de l’Inserm Médecine Science aurait été la cible de ces tentatives de rachat. En 2019, la Revue d’intelligence artificielle (RIA) était vendue par les éditions Lavoisier à l’entreprise International information and engineering technology association (IIETA), domiciliée au Canada mais suspectée d’être aux mains de la diaspora chinoise. L’ancien éditeur en chef et directeur de recherches au CNRS Yves Demazeau alertait alors dans un communiqué : « Le comité de rédaction démissionnaire émet de fortes réserves sur la qualité scientifique du nouvel éditeur IIETA, dont le premier nouveau numéro de RIA est publié de manière opaque, en dehors de tout standard scientifique. » Plusieurs articles avaient en effet été publiés sans l’aval des éditeurs. Même sort pour Ingénierie des Systèmes d’Information, dont Guillaume Cabanac – relire son portrait – était membre du comité éditorial. Il témoignait dans les colonnes de L’Express de l’introduction de frais de publication de 600 dollars et d’une multiplication par trois du volume d’articles. Au total, au moins sept revues sont passées des mains de Lavoisier à IIETA depuis 2018. Le détective toulousain ne pouvait pas en rester là : avec sa collègue Ophélie Fraisier-Vannier, ils ont commencé à les passer au crible. Non encore publiés, les résultats qu’ils nous ont communiqués dessinent de claires tendances. « Toute la communauté de ces journaux a changé du jour au lendemain » Ophélie Fraisier-Vannier Publiant auparavant uniquement en français des articles d’auteurs en majorité affiliés à des institutions françaises, les sept revues publient aujourd’hui en anglais – malgré leur nom qui restent, eux, bien français (voir la liste en encadré). Nouveau top 3 des nouveaux pays de provenance des auteurs : l’Inde, la Chine et l’Irak, et de très loin. « Toute la communauté de ces revues a changé du jour au lendemain », analyse Ophélie Fraisier-Vannier, maîtresse de conférences à l’Université de Toulouse. Alors que sur les sept revues, le volume de publication avait déjà doublé un an après le rachat, Traitement du signal a été la plus impactée avec une multiplication par dix du nombre d’articles publiés entre 2018 et 2024. C’est aussi la revue qui réclame les frais de publication les plus élevés : 900 dollars par article, contre aux alentours de 500 pour les autres. Mais le plus problématique reste l’impossibilité d’accéder aux articles publiés avant le rachat sur le site de la nouvelle maison d’édition : « Tout un pan de la littérature a disparu de la surface de la Terre », alerte la chercheuse en informatique. D’après leurs analyses, il en manquerait près de 3000, datant d’avant 2018. L’accès pérenne aux articles publiés, notamment graĉe au Digital Object Identifier (DOI), est pourtant l’une des missions premières des maisons d’édition.  Quelles solutions face à ce nouveau fléau ? Les chercheurs espagnols Alberto Martín-Martín et Emilio Delgado recommandent que les bases de données bibliographiques mettent en place des protocoles pour détecter les revues “dévoyées” et puissent agir en conséquence. « Si très vite après leur rachat, les revues n’apparaissent plus dans les bases et n’ont plus de facteur d’impact, elles n’arriveront plus à attirer des auteurs et le business ne fonctionnera plus », explique Alberto Martín-Martín. Suite à leur preprint paru en janvier alertant sur 36 revues, Web of Science a rapidement retiré les 6 dernières qui y étaient encore indexées – 11 revues avaient déjà été retirées, les autres n’y avaient jamais figuré. En revanche, toutes apparaissaient dans Scopus qui, d’après leur dernière liste mise à jour en août 2025, n’en marquait que neuf comme “interrompues par Scopus”. Contacté par nos soins, son propriétaire Elsevier nous a affirmé avoir pris la mesure du problème : « Après une enquête approfondie, nous avons décidé de cesser de publier dans Scopus tous les titres dont la publication par Oxbridge Publishing House est clairement prouvée. Tous ces titres ont désormais été retirés de la liste. » Sans donner la liste desdites revues. Mais plus tôt ces rachats seront détectés, plus la lutte sera efficace. Les chercheurs espagnols sont donc en train de mener une investigation à une plus grande échelle. Tout en rappelant que le rachat de revue et la présence d’APC n’est pas toujours le signe d’une activité frauduleuse : « S’il y a une vraie gestion éditoriale et une relecture par les pairs, c’est OK. » « Si la proposition de rachat tombe au moment d’un départ à la retraite ou d’une passation, il peut être difficile de résister » Alberto Martín-Martín Les institutions ont évidemment également un rôle à jouer, notamment en arrêtant d’évaluer en se basant sur l’impact factor des revues – beaucoup ont déjà pris position dans ce sens, en signant notamment la déclaration de San Francisco mais dans la pratique les choses évoluent parfois bien plus lentement. Le soutien institutionnels aux revues pourraient également s’avérer crucial, alors que certains éditeurs en chef tiennent leur revue à bout de bras : « Si la proposition de rachat tombe au moment d’un départ à la retraite ou d’une passation, il peut être difficile de résister », détaille Alberto Martín-Martín. Enfin, une partie de la responsabilité repose sur les épaules des chercheurs eux-mêmes, notamment ceux présents dans les comités éditoriaux : « Elles et ils ont le devoir d’être attentifs et transparents, comme certains l’ont très bien fait », estime le chercheur espagnol.  En France aussi… Sept revues au nom francophone – mais publiant aujourd’hui en anglais – s’affichent dans le portfolio de la maison International information and engineering technology association (IIETA). Elles auraient toutes été revendues par les éditions Lavoisier autour de 2018 :  – Annales de Chimie – Science des Matériaux (ACSM) – Ingénierie des Systèmes d’Information (ISI) – Instrumentation Mesure Métrologie (IMM) – Journal Européen des Systèmes Automatisés (JESA) – Revue d’Intelligence Artificielle (RIA) – Revue des Composites et des Matériaux Avancés (RCMA) – Traitement du Signal (TS) Parmi elles, toutes présentent des frais de publications (entre 250 et 900 dollars), trois – TS, ACSM et RCMA – apparaissent dans Web of Science avec des impacts facteurs autour de 1 et cinq des sept revues étaient listées par Scopus en août 2025. Ce dernier mentionnent TS et RIA comme étant des « titres abandonnés par Scopus en raison de problèmes de qualité ». Cet article est publié sur le site d’EPRIST sous licence CC-BY 4.0

EDITEUR

Quand les éditeurs vous suivent à la trace

par Lucile Veissier, TheMetaNews, pour EPRISTQuand il s’agit de récolter vos données personnelles, les pratiques des éditeurs varient beaucoup. Les bibliothécaires veillent au grain. « Si c’est gratuit, c’est vous le produit ! » Le phénomène est aujourd’hui bien connu : la plupart des outils numériques que nous utilisons quotidiennement – navigateur web, moteur de recherche, boîte mail, réseaux sociaux… – récoltent nos données pour les vendre et/ou proposer de la publicité ciblée. Que les éditeurs scientifiques, dont l’accès est payé par les institutions ou via les frais de publication, puissent faire de même, serait-il possible ? En effet, ces derniers ont accès à un nombre grandissant d’informations sur leurs usagers (chercheurs ou personnels des bibliothèques/services de documentation) : Qui consulte quelle publication, quand et depuis où ? Qui review ou soumet tel article ?… Avec l’incitation de plus en plus pressante (et parfois bien pratique) de créer un compte utilisateur sur les plateformes des éditeurs, regroupant ainsi toutes ses données. Des données qui valent aujourd’hui bien plus que de l’or. « Les bibliothèques doivent être conscientes du fait que les grands acteurs de ce domaine pistent leurs usagers »Une étude de janvier 2024La révélation avait fait l’effet d’un petit électrochoc en janvier 2022 : Jonny Saunders, neuroscientifique à l’université d’Oregon, découvrait l’existence de marqueurs uniques dans les métadonnées des versions PDF des publications scientifiques, permettant de tracer qui, où et quand un utilisateur avait téléchargé l’article – il en parlait sur Twitter. Accusé de surveiller les chercheurs, Elsevier se défendait quelques jours plus tard dans les colonnes de Motherboard : c’est la librairie pirate SciHub et la mise à disposition du monde entier sans “paywall” des publications qu’ils entendaient contrer. Aucune donnée sur les chercheurs n’était collectée. Une réponse qui n’a pas totalement convaincue Jonny Saunders et qui a éveillé la méfiance d’une bonne partie de la communauté. D’autres techniques existent en effet pour pister les usagers : cookies, adresses IP, empreintes digitales d’appareils… Sensibilisés sur ces questions, les bibliothécaires allemands avaient dès 2021 Elsevier dans le radar : RELX, maison mère d’Elsevier, n’a en effet jamais caché son activité de courtier en données. Une activité basée sur la vente de données personnelles qui génère bien plus de revenus que l’activité d’édition : filiale de RELX, LexisNexis a notamment signé des contrats avec l’agence états-unienne de police douanière et de contrôle des frontières pour plus de 172 millions de dollars. Voilà qui a créé un précédent dans le monde académique : « les grands éditeurs ont mis un nouveau costume de super-vilains », écrivait le sociologue au CNRS Didier Torny sur son blog en 2022. Pour ce spécialiste des questions d’édition scientifique, par ailleurs très engagé dans le mouvement de la science ouverte, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : « Les grosses maisons d’édition profitaient déjà gratuitement de notre travail, notamment en tant que reviewer, maintenant elles font en plus des bénéfices sur notre dos », nous confiait-il récemment. « Alors que les bibliothécaires jouaient un rôle d’intermédiaire, les gros éditeurs ont maintenant construit des liens directs avec les chercheurs, possèdent leurs données (…) et peuvent les solliciter directement (…) »Didier Torny, sociologueEn France, au sein du consortium Couperin qui regroupe les personnels des bibliothèques (pour les universités) et des centres de documentation (pour les organismes de recherche), quelques membres s’emparent du sujet. Marie Nikichine de l’Université de Montpellier Paul-Valéry et Thomas Porquet, ingénieur d’études au sein du consortium, publient un décryptage en janvier 2024 (disponible sur HAL) intitulé : Pistage et profilage des usagers par les grands éditeurs scientifiques : quels nouveaux enjeux pour les bibliothèques ? Se fondant sur les travaux de leurs collègues allemands, ils y mettent en avant de graves menaces sur la protection de la vie privée des chercheurs ayant recours aux ressources documentaires négociées au sein du consortium : « Les bibliothèques doivent donc être conscientes du fait que les grands acteurs de ce domaine pistent leurs usagers de la même manière que les plateformes de vente en ligne, les sites d’information et les réseaux sociaux. » Il faut dire qu’une transformation en profondeur s’est opérée depuis l’arrivée du numérique dans le monde de l’édition scientifique. Lors d’un colloque organisé par Couperin en mars 2025, Didier Torny analysait le phénomène : avant, les utilisateurs se rendaient à la bibliothèque pour consulter, et éventuellement emprunter, des livres physiques. Aujourd’hui, les bibliothèques achètent l’accès à des ressources en ligne, voire des bouquets de centaines de revues, que les chercheurs vont directement consulter sur les sites des éditeurs. « Alors que les bibliothécaires jouaient un rôle d’intermédiaire, les gros éditeurs ont maintenant construit des liens directs avec les chercheurs, possèdent leurs données (coordonnées, domaines d’expertise…) et peuvent les solliciter directement (formations, proposition d’évaluation…). » « Le RGPD est une chance car il donne un cadre »Marie Nikichine, consortium Couperin Et les conséquences n’ont pas tardé. La dite note de Couperin décrit ainsi un changement d’orientation stratégique chez les maisons d’édition, avec la volonté de monétiser des flux de données (comme d’ailleurs plein d’acteurs du web). Sans parler des opérations de rachat menant à une concentration des acteurs de l’édition : un oligopole domine le marché mondial de l’édition scientifique – dont Elsevier, Wiley et Springer Nature, relire notre analyse sur l’action en justice intentée par des chercheurs états-uniens à leur encontre. Un joyeux mélange des genres entre activités éditoriales et surveillance des chercheurs ? Les implications restent encore floues. Dans cette masse de données, les chercheurs sont-ils surveillés individuellement ? « Est-ce complotiste ou parano de l’imaginer ? » s’interroge Didier Torny. Une chose est sûre : « On ne peut plus envisager les éditeurs comme il y a 15 ou 20 ans », alerte Marie Nikichine, également docteure en histoire. Que faire ? Première étape pour les bibliothécaires : informer et former à ces sujets, et en premier lieu leurs collègues qui négocient ou signent les contrats avec les éditeurs. Ces détails qui n’en sont pas vraiment figurent souvent dans les petits caractères de la section « politiques de confidentialité » ou dans un document carrément à côté du contrat. « Une expertise particulière est nécessaire », témoigne Marie Nikichine, à la tête du pôle logiciel au sein de Couperin. Mais les utilisateurs, en première ligne, doivent également se saisir du sujet. Une des actions possibles (voir l’encadré pour les autres) : demander aux éditeurs les données stockées vous concernant : date et lieu de connexion, type de recherche effectuée sur leur site, publications consultées ou manuscrit reviewés. Les éditeurs sont tenus de vous les fournir. « Le RGPD [Règlement général sur la protection des données établi au niveau européen, NDLR] est une chance car il donne un cadre », estime Marie Nikichine. « Il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude académique sur les habitudes de recherche bibliographique des chercheurs »Didier Torny, sociologueDemander aux éditeurs ses données personnelles, Didier Torny l’a fait – il le présentait lors du Printemps Couperin en mars dernier. Le 18 février 2025, il a, non sans quelques difficultés, envoyé ses requêtes à quatre maisons d’édition : Elsevier, Springer Nature, Wiley et Taylor & Francis. Les deux dernières n’ont pas – ou presque – donné suite. La surprise est venue de Springer Nature. Un certain Tim lui a répondu en substance qu’il devait contacter les revues une par une et centraliser les données à lui fournir. « Si chaque chercheur se met à demander ses données personnelles, le pauvre Tim va être submergé », plaisantait Didier Torny. Elsevier, en revanche, a réagi promptement et lui a envoyé un fichier prêt à être utilisé dans une base de données. Ironie de l’histoire : c’est la maison d’édition épinglée pour ses pratiques en termes de confidentialité qui répond le plus vite aux exigences du RGPD… La solution, selon le sociologue ? Côté chercheurs, boycotter les grosses maisons d’édition. Côté éditeur, mettre en place des plateformes ouvertes où aucun identifiant n’est nécessaire. Voici pour l’option radicale. Une version réformiste consisterait à mettre en place des clauses de contrat et une architecture technique afin que les données, anonymisées, restent aux mains des bibliothèques. Une démarche potentiellement fructueuse également au niveau scientifique  : « Il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude académique sur les habitudes de recherche bibliographique des chercheurs, tout simplement car les données sont privées », regrette le chercheur. Didier Torny prend comme exemple le moteur de recherche Matilda, développé par ses soins comme une alternative ouverte à Google Scholar. Une question centrale a guidé le projet : offrir des services aux utilisateurs sans les identifier ni les tracer. « Les négociations commerciales sont importantes mais les clauses juridiques, notamment sur les données d’usage, le sont tout autant »Christine Weil-Miko (CNRS)Les bibliothécaires commencent à mettre le sujet sur la table lors des négociations avec les maisons d’édition. Dans sa lettre de cadrage, le consortium Couperin affiche ainsi ses exigences : les fournisseurs doivent s’engager à respecter la législation, dont le RGPD, ainsi que les recommandations de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). La licence type proposée par Couperin restreint quant à elle le transfert des données à caractère personnel à des sous-traitants présentant les mêmes garanties. Couperin recommande même d’aller plus loin : que les fournisseurs de contenus ou de services désactivent « tous les systèmes de collecte, d’analyse, de profilage et d’agrégation de données présents (…) à des fins de profilage ». À l’exception bien entendu des statistiques d’usages dont les bibliothèques ont besoin pour juger de la pertinence d’un abonnement. Et en pratique ? Les négociations avec Elsevier entamées début 2024 ont débouché en avril sur la signature d’un accord national de lecture et publication de quatre ans pour la modique somme de 33 millions d’euros – nous vous en parlions. Pour Christine Weil-Miko (CNRS) qui a mené les discussions avec Elsevier et d’autres éditeurs, « les négociations commerciales sont importantes mais les clauses juridiques, notamment sur les données d’usage, le sont tout autant. » L’objectif étant de protéger les utilisateurs, pas toujours conscients des enjeux. Arrivant à la table des négociations avec une équipe juridique conséquente, Elsevier semblait en revanche bien au fait du cadre légal. Si la maison d’édition était prête à donner des garanties, elle n’était pas forcément disposée à aller plus loin que ce que la loi l’oblige à faire (les termes du contrat sont accessibles ici). Marie Nikichine est réaliste : « la question des données d’usage n’empêche actuellement pas les établissements de signer les contrats, l’asymétrie dans les rapports de force est trop grande. » Mais la mention du respect du RGPD représente déjà une avancée en tant que telle, sur la voie des plus grandes victoires obtenues par les bibliothécaires allemands ou néerlandais. « Chaque négociation permet d’obtenir des avancées progressives dans le domaine de la protection des données des utilisateurs »Marie Nikichine, Couperin Un groupe de travail “Pistage” existe désormais au sein du consortium Couperin afin d’outiller les négociateurs, expliquait Marie Nikichine lors du printemps Couperin. Leur est notamment mis à disposition un questionnaire à faire remplir aux éditeurs comportant une dizaine de questions : la mise en place d’une politique de RGPD conforme, l’existence d’une bannière claire pour informer les utilisateurs et recueillir leur consentement sur les cookies, la liste des partenaires qui auront accès aux données… Trois axes sont au programme de leur prochaine feuille de route : identifier précisément les mécanismes de pistage à l’oeuvre sur certaines plateformes francophones, évaluer le degré de protection prévu dans les contrats en vigueur et enfin comprendre pourquoi ces enjeux de vie privée restent encore méconnus des chercheurs et passent encore trop souvent au second plan dans les négociations. Marie Nikichine reste optimiste : « Chaque négociation permet d’obtenir des avancées progressives dans le domaine de la protection des données des utilisateurs. »Chercheurs, que pouvez-vous faire ? Voici quelques conseils pour les chercheurs, concoctés par l’institution de recherche allemande Forschungszentrum Jülich (qui au passage détaille les clauses de ses contrats avec Elsevier, Wiley et Springer Nature) :– choisir une licence CC-BY pour ses productions scientifiques– cliquer sur le bouton « seulement les cookies essentiels » quand des bannières apparaissent sur les sites des éditeurs– lire les règlements des éditeurs (ce n’est pas la partie la plus fun, on vous l’accorde)– demander aux éditeurs quelles informations stockent-ils sur vous (voir l’exemple plus haut de Didier Torny)– éventuellement porter plainte si leurs pratiques ne sont pas en conformité avec le RGPD Cet article est publié sur le site d’EPRIST sous licence CC-BY 4.0

Rapport

Où en sommes-nous dans la mise en oeuvre de la politique de science ouverte ?

Résultats de l’enquête auprès des établissements d’enseignement supérieur et de rechercheLe Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR) publie les résultats d’une enquête auprès des établissements d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) sur leurs politiques de science ouverte. L’enquête, pilotée par le Comité pour la science ouverte, s’est déroulée de décembre 2023 à janvier 2024.Elle visait à mieux connaître les politiques de science ouverte des établissements, ainsi que leurs avis concernant l’utilité de la politique nationale de science ouverte. L’enquête visait également à identifier les obstacles qui, à leurs yeux, entravent le progrès de la science ouverte en France.Au total, 105 établissements ont répondu à l’enquête, dont 10 organismes nationaux de recherche membres d’EPRIST.L’enquête montre une grande adhésion des établissements de l’ESR à la politique nationale. Seulement 2,9% des établissements répondants avaient adopté un document-cadre en matière de science ouverte en 2018, année de parution du premier plan national. À présent, ce chiffre s’élève à plus de 50% des établissements ayant défini une politique structurée dans un document.Sept des 10 organismes répondants se sont d’ores et déjà dotés d’un document-cadre, la réflexion étant en cours dans les 3 autres :– Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – 2019https://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2019-11/Plaquette_ScienceOuverte.pdf– Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – 2021https://www.cea.fr/chercheurs/Documents/information-scientifique/Charte-science-ouverte-CEA.pdf– Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria)https://www.inria.fr/fr/science-ouverte-role-inria– Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) – 2016https://science-ouverte.inrae.fr/– Institut national d’études démographiques (INED) – 2022https://so.site.ined.fr/– Institut Pasteur – 2021https://www.pasteur.fr/fr/ceris/bibliotheque/s-engager-science-ouvertePar ailleurs, l’enquête révèle une véritable adhésion à la politique nationale de science ouverte de la part des établissements. Tous les organismes répondants jugent utile ou très utile le Plan national pour la science ouverte (PNSO), de même que le Baromètre pour la Science Ouverte et l’entrepôt Recherche Data Gouv.Les établissements de l’ESR mettent en œuvre des stratégies en cohérence avec la politique décrite dans le Plan national pour la science ouverte. Sans grande surprise, dans les organismes comme dans les autres établissements, les mesures relatives aux publications, aux données et à la formation sont généralement plus avancées que celles relatives aux logiciels, aux codes sources et à l’évaluation.Par ailleurs, la perception des obstacles à la transition vers la science ouverte évolue en parallèle avec les avancées de la mise en œuvre de la politique de science ouverte. A la question « Au regard de votre politique actuelle, quels sont les plus grands obstacles à la transition vers la science ouverte ? » sont d’abord citées par les organismes les pratiques disciplinaires différentes et la résistance au partage et à la mise à disposition des données, puis les inquiétudes relatives à l’augmentation des coûts et la complexité technique.En savoir plus : – Rapport : Où en sommes-nous dans la mise en oeuvre de la politique de science ouverte ? Résultats de l’enquête auprès des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. DOI : 10.52949/80.– Données du rapport : État des lieux des politiques de science ouverte des établissements de l’ESRSource : Ouvrir la Science

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